A partir de combien de temps peut-on dater la naissance de l’éternité ? Une vie infinie, et seules les années se terminent, s’éteignant à jamais. Le temps accélère la valse solaire, jusqu’au jour où on ne le perçoit plus, l’allégresse de sa venue remplacée par l’ennui, lui aussi éternel. Qu’est-ce qu’une vie sans fin à l’échelle humaine ? Un demi-siècle est déjà si long, alors un demi millénaire… Et ce temps, si long, presque éternel, ne représente pour le plastique que son temps de décomposition. 400 ans estime-t-on, faute de pouvoir le témoigner.
Les vrais détenteurs de la Terre
Sur l’intégralité des plastiques que nous avons enfantés, 6,3 milliard de tonnes ont déjà été usés. De ceux-ci, bien peu furent recyclés. Certains disparurent, immolés, réchauffant certains foyers, intoxicant les terres voisines, mais 79% d’entre eux regardent encore le ciel, se lovent dans la terre, ou nagent paisiblement dans les océans (Parker, 2018).
De tous ces matériaux artificiels, bien peu d’entre eux furent recyclés. Comme on le sait, la pratique suit rarement la théorie, et ce qui était censée être la solution idyllique n’est qu’une funeste simulacre. Si le verre et l’aluminium se recyclent indéfiniment, sans perdre sensiblement en qualité, les plastiques ne peuvent prétendre à de telles capacités.
Ces matériaux naissent d’un mélange de polymère, issu du pétrole, et d’une série d’additifs et de composants. Ce sont les différents additifs, et la proportion de chaque élément, qui vont octroyer aux plastiques ses vertus. Chaque série de plastique est unique, fourmillant d’additifs en tout genre. Une seule certitude subsiste. Un chiffre, inscrit sur le produit, encerclé pas des flèches, étrangement similaire au sigle du recyclage. Chacun de ces nombres est assigné à un type de polymère, seul élément retraçable de toute la composition.
Mille millions de milles particules
Laissons à César, ce qui est à César, le recyclage du plastique est bel et bien possible. Mais, des sept types de plastique les plus communs, seuls le PET (numéro 1) et le PEHD (numéro 2), sont en pratique recyclables, et ce, uniquement pour un ou deux cycles. Parce que les plastiques, même triés, sont très hétérogènes. Pour cette raison, la matière recyclée se dégrade grandement au fil des cycles, perdant ses capacités à chaque transformation. En d’autres mots, le recyclage du plastique est plus onéreux que sa création, pour une qualité inférieure. Là où le politique prône le recyclage, l’économie incite à la création.
Certes, le mythe du recyclage du plastique permet d’apaiser la conscience citoyenne, mais il ne résout en rien son impact sur l’environnement, l’écosystème et la santé humaine. Comme présenté dans l’introduction, la « meilleure » option au plastique non-recyclé est l’incinération, réchauffant quelques foyers aux prix d’émissions toxiques de gaz. Or, la grande majorité du plastique se retrouve dans la nature qui, au fil des aléas climatiques, s’émulsionne en de toujours plus petits fragments.
Ces microplastiques créés par la dégradation des matériaux, pénètrent la chaîne alimentaire à tous les niveaux trophiques jusqu’à notre propre corps (Préville & Bolo, 2020). De ces microplastiques sont émis divers substances, comme le Bisphénol-A, un perturbateur endocrinien imitant l’action des œstrogènes (Etiemble & Cordier, 2022), ou des phtalates, un autre perturbateur hormonal octroyant la souplesse et l’élasticité désirée au plastique. Ces émissions de substances ne dépendent pas de la taille du plastique, ni de son état de décomposition ; tout plastique émet des perturbateurs endocriniens, provoquant des pubertés précoces, des cancers du sein et de la prostate, contaminant non seulement l’humain, mais presque la majeure partie du vivant (Préville & Bolo, 2020).
Même dans le cas où une technologie, autant divine que inespérée, recyclerait tous les types de plastiques avec une efficience de 100%, ceux-ci produiraient également des microplastiques, et donc, de la contamination au vivant. L’Inner City Fund estime que la quantité de microplastique rejetée, par année et dans la nature, atteint entre 1,8 et 5 millions de tonnes. C’est l’équivalent en poids de 68 milliards de cafards, autant toxiques qu’invisibles, grouillant, curieux, conquérant en tout temps, en tout lieu, nos terres et nos eaux.
Si nous visualisons autrement la quantité de microplastiques produite, chaque année, nous pouvons estimer que 3,4 millions de tonnes de microplastiques sont rejetées, en moyenne, dans la nature. 3,4 millions de tonnes c’est imposant, cela donnerait l’équivalent de 3 billiard de mm cube, soit 3 millions de mètres cubes, l’équivalent 1200 piscines olympiques. Pour convertir en trottoir d’un mètre d’épaisseur – parce qu’on est sûrement plus passant que nageur olympique – c’est 71 marathon (de 42 km) qu’il faudrait parcourir afin d’atteindre le dernier microplastique de l’année, soit l’équivalent de 3 fois la longueur Nord-Sud de la France métropolitaine.
Le profit de l’ignorance
Le plastique n’est fondamentalement recyclable que dans les publicités. Cette information était plus confidentielle qu’inconnue, car des rapports montrent que les producteurs détenaient déjà cette information, dès que les plastiques furent créés. Ainsi témoignons nous d’opération de lobbying, de publicités mensongères, de récit d’un supposé plastique, lui recyclable, simplement pour éviter une quelque interdiction de ce produit. L’industrie pétrochimique n’avait pas besoin de prouver que leurs produits pouvaient durablement être réutilisés, ils devaient uniquement le faire croire, que cela était possible, que cela se réalisait déjà.
En témoignage les mots de Larry Thomas, ancien président de la Society of the Plastics Industry, pour le documentaire Plastic War : « If the public thinks the recycling is working, then they’re not going to be as concerned about the environment. I think they knew that the infrastructure wasn’t there to really have recycling amount to a whole lot.».
En voici une autre tirée, elle, d’un rapport confidentiel de Larry Thomas, toujours, en 1989 : « The image of plastics among consumers is deteriorating at an alarmingly fast pace. [..] Business is being lost. Product growth rates are being dampened. And, stock analysts are beginning to take notice. […] We must immediately undertake a major program of unprecedented proportions to reverse this fast-moving tidal wave of growing negative public perception. ». Et c’est ainsi que 50 millions de dollars furent investis dans de la publicité. Qu’on le croie ou non, les publicités vendirent non pas les dégâts du plastiques, mais ses mérites.
Quand le business est roi, les publicités dansent, obnubilant un peuple coupable, protégé par des lois filtrées aux exigences du profit. Les lois se corrompent, et le royaume, lui, s’ensevelit parfois sous des billets, souvent sous des détritus. Des déchets d’ailleurs rejetés par le vil peuple, immorale par nature, ayant comme plus grand défaut celui de n’avoir que trop peu de poids face aux monarques.
Références
Etiemble, J. & Cordier, S. (2022). Neurodéveloppement et polluants environnementaux. Environnement, Risques & Santé 21(1):13‑22. lien : chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://univ-rennes.hal.science/hal-03591085v2/document
Laura Parker, « A whopping 91 % of plastic isn’t recycled », National Geographic, Washington, DC, 20 décembre 2018. lien : https://www.nationalgeographic.com/science/article/plastic-produced-recycling-waste-ocean-trash-debris-environment
Préville, A. & Bolo, P. (2020). Pollution Plastique : une bombe à retardement ? Sénat Français, Rapport 217. lien : https://www.senat.fr/rap/r20-217/r20-217.html
Plastic War – Frontline. lien : https://www.pbs.org/wgbh/frontline/documentary/plastic-wars/