Le pistolet à mot, ou comment promulguer notre salvation

La loi scintille, de cette aura des solutions salvatrices. Universellement applicable, elle contient tout ce dont nous avons besoin pour protéger nos jours. Chaque victoire incarne un antécédent pour les prochaines actions, chaque perte un exemple de ce qui doit être évité. Nous sommes nos propres devins, nous élisons, collectivement, les Lois qui nous restreindront. Loin de freiner notre liberté, elles posent les bases pour que chacun·e puisse l’exprimer, que ceux ou celles-ci soient nos pairs d’aujourd’hui, ou nos enfants de demain.

Illustré par Marie

Eric Roggwiller

Le pouvoir de l’humain n’est pas seulement de créer, mais également de croire que ses propres créations sont naturelles. Notre société est faite ainsi, un champ de productions culturelles, devenues avec le temps un simulacre de cette même nature. Nous vivons, et ainsi promulguons-nous. Notre vie est jonchée de normes, certaines non dites, et pourtant comprises, d’autres ancrées dans les livres de lois. C’est justement cette capacité à promulguer des prophéties, pour sitôt s’y conformer, qui sera, peut-être, notre meilleure arme contre la crise écologique, et surtout contre l’inaction humaine.

La fin de l’histoire

A chaque jour sa peine, et ainsi se battent des records de production. La Terre, qu’on disait si exsangue, est encore assez juteuse pour qu’on puisse extraire en toute sérénité. La rupture de stock est encore loin, dit-on, et, lorsqu’elle arrivera, on aura trouvé un moyen pour la dépasser. Notre avenir aurait dû être compromis dès la première annonce de pénurie, et pourtant, on construit, on développe, on consomme, dans une marche incessante, inarrêtée, plus proche d’une fuite en avant que du progrès.

Et comment arrêter ? On ne peut condamner une entreprise de perpétuer sa course lorsque ses pas, de plus en plus rapides, sont la condition même de son existence. Il serait insensé de condamner un pays pour ses pollutions, alors que la réciproque même de ce point, ses productions, expose son état d’avancement. Transitons vers le Vert ! Mais sans parachute sécurisant, c’est la faillite qu’on embrasse. Nos valeurs, les plus sincères soient-elles, ne peuvent que s’éteindre si nous sommes les seul·e·s à les détenir. Le temps du Christ est bien loin, et déjà à l’époque, il a fallu plus qu’une apparition divine pour sauver durablement le genre humain. Seule une transition collective peut instaurer un changement durable, et seule la Loi peut entraîner cette transition.

Si cet événement n’advient pas, si notre course perpétue sa route, nous plongerons dans nos propres excavations. Ce « nous » parle au nom de l’humanité, et non du·de la seul·e citoyen·ne, parce que demain ne peut arriver que si chaque acteur assume ses responsabilités, à l’aune de ses propres moyens. Citoyen·ne·s, soit, mais également entreprises, Etats et collectivités.  Simplement parce que tous ces niveaux sont imbriqués, que les cadres sont des citoyen·ne·s, que les élu·e·s sont parfois des entrepreneur·euse·s, et que toutes et tous sont membres d’un même pays. Une inaction collective, ou simplement d’un type d’acteur, nous mènera droit vers une crise sociale, voire humaine. Un avant-goût d’un demain sans changement se fait déjà ressentir, les étés étouffent, les hivers se figent, et les événements extraordinaires ne le sont plus tant. La première victime est l’humain, car la Vie et la Terre s’en sortiront, tant bien que mal. Ironiquement, inaction rime avec perdition.

Des mots comme fondation de notre avenir

Ce tableau, pourtant si noir, contient des milliers de lueurs d’espoir. L’une d’entre elles rayonne plus que les autres, d’un scintillement assuré, presque flamboyant. C’est en se rapprochant de cette source de lumière qu’on comprend l’ampleur de son potentiel, et ô combien la promulgation de loi peut être efficace. Le droit n’est que l’application de la politique, l’ancrage des décisions sociétales. Pour cette raison, sa place dans la société est sans équivalent, car elle permet d’agir à tous les niveaux de la société, d’engager une transition collective. Là se trouve la clé de son pouvoir, responsabiliser chaque acteur, inciter au changement, ou prévenir les dérives potentielles.

Et le·la juge n’est pas qu’un·e administrateur·rice, chargé·e uniquement d’inscrire dans le marbre les décisions politiques. Celui ou celle-ci représente la Justice, estime le juste, révèle les infractions, et ce, au regard de la Loi et de son interprétation. Cela signifie que, selon le cadre choisi, une action nouvelle peut être considérée comme un crime selon une loi déjà passée. En d’autres mots, selon le temps, le contexte, et le·la juge, l’ouverture d’une mine à charbon peut être considérée comme une infraction, à l’aune des droits humains, à l’atteinte à leur santé. La crise écologique étant autant sociale qu’environnementale, les choix réalisés seront éminemment politiques, car seul le débat permettra d’élire le bon scénario du mauvais (Jean Jouzel et Agnès Michelot). Et c’est pour cette raison même que le droit s’interpose comme une arme concrète et durable contre notre propre inaction, en tant que société.

Mais la théorie est si belle qu’elle en vient à évincer son application concrète. Le droit est une arme aussi puissante que facile à désamorcer. Parce qu’elle est également politique, parce qu’elle est faite par des entités humaines, elle est particulièrement soumise aux conflits d’intérêts, aux ingérences des plus puissants. Les lobbies militent contre tout verdict trop engageant ou restrictif, car il suffit d’un seul pour que cela marque un antécédent. Et généralement, là où un avocat excelle, le bien commun se retrouve assassiné. Si on embrasse une perspective proche de la lutte des classes, les juges, proches par leurs caractéristiques des élites, seront plus cléments avec eux. En effet, le corps de loi est constitué d’universitaires aguerris, généralement issus des classes les plus aisées de la société. Le juge est généralement plus proche du cadre que du salarié, et celui-ci, consciemment ou non, sera plus propice à défendre le premier que le second. Peu à peu, le bandeau de la justice glisse, jusqu’à tomber complètement.

Mais la Loi est une cité aux tours inachevées. Chaque verdict est une brique, assignée à un de ces édifices, qui tantôt le fait grandir, tantôt renforce sa base. Et si une tour s’étend peu à peu, c’est bien celle du droit de l’écologie. Les inculpations se répandent toujours plus, et ainsi s’érigent des antécédents. L’Etat français fut inculpé pour irrespect à ses engagements environnementaux. De même, la Suisse a été déclarée coupable par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour inaction climatique, et ce, par une association de retraitées (Marice Alice Chardeaux). De l’autre côté de la manche, la cour d’appel à Londres a annulé l’extension de l’aéroport de Heathrow. La raison ? Son impact en gaz à effet de serre n’a pas été évalué (Conseil d’Etat). A chaque verdict, une pièce s’ajoute à cette grande mosaïque qu’est le droit environnemental. L’espoir subsiste, malgré les biais inhérents aux processus législatifs. Le plus grand frein à la progression sociétale est l’humain, mais c’est aussi son meilleur moteur ; tout dépend de la manière dont on choisit de le considérer.

L’humanité comme armée de maçons

Certain·e·s diront, à juste titre, que la loi n’a de l’arme que la forme, au même titre qu’un pistolet à eau. Aucune action au sein d’un système ne pourra le modifier, alors il faudrait dépasser notre système, que cela se fasse par une entente commune, ou par la force. Mais cette question ne fait ici pas sens. Qu’importe la capacité réelle d’un système, d’une société, à se modifier par elle-même, si jamais on ne teste ses limites. Agir est primordial, pour nous autant que pour notre avenir, car toute action, la plus futile soit-elle, sert d’exemple. La société est une cathédrale, construite des siècles durant. Aucun miracle ne peut créer une cathédrale sans matériaux, ni action humaine. On ne peut changer de monument sans avoir un autre déjà construit, et si aucune cathédrale ne mutera d’elle-même, il est insensé de troquer un tel monument pour une construction de fortune, même temporairement. Nos actions doivent être à portées humaines, et intégrer son temps de construction.

Demain arrivera, avec certitude, mais il sera façonné pierre par pierre. Certain·e·s doivent rénover notre cathédrale, pendant que d’autres préparent celles de demain. Nos forces divisées permettent un quotidien agréable, et un futur encore plus beau, sans périr d’exténuation. Et c’est bien par les lois que nos constructions seront sécurisées, assurant leur aménagement tout en évitant leur démantèlement. Ces règles sont autant nos plans que nos menottes. Pour cette raison, la clé du changement se trouve dans l’action, qu’on déplace un gravier ou une montagne. Celle-ci doit être à la hauteur de nos capacités, y compris dans nos propres délimitations. Car toute lutte qui dépasse les limites de son porteur est un suicide déguisé.

Sources

Conseil d’Etat – Quand la justice administrative rappelle l’Etat à ses engagements climatiques. https://www.conseil-etat.fr/actualites/decryptage-quand-la-justice-administrative-rappelle-l-etat-a-ses-engagements-climatiques

Jean Jouzel et Agnès Michelot – La justice climatique : enjeux et perspectives pour la France

Marice Alice Chardeaux – La Cour européenne des droits de l’Homme, nouvel acteur de la justice climatique

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